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La vérité sur les pirates

Depuis quand y a-t-il des pirates dans le monde?
Philippe Hrodej:1 Les pirates existent depuis que la voile a été inventée. La piraterie n’est rien d’autre qu’un vol en mer, c’est-à-dire l’attaque de navires marchands sans distinction de nationalité – même si certains pirates avaient des scrupules à dépouiller leurs propres compatriotes… En Méditerranée, des galères à voile, petites et rapides, traquaient déjà les navires marchands dans l’Antiquité, et les Romains n’avaient de cesse de les pourchasser. La piraterie a longtemps été endémique dans certaines régions, comme les Cyclades en mer Égée, l’Adriatique et la mer Noire. Les pirates recherchaient tout ce qui pouvait être échangé contre de l’argent : le navire lui-même, sa cargaison, les armes à bord et même l’équipage, qui pouvait être mis à contribution ou rançonné. En réalité, tout navire que les pirates considéraient comme plus faible était susceptible de devenir leur proie.

Contrairement aux pirates, les corsaires agissent avec l’aval de leur État, qui leur remet une « lettre de marque ». Cette lettre précise les nations ennemies qui peuvent être attaquées.

Contrairement aux pirates, les corsaires agissent avec l’appui de leur État, qui leur remet une « lettre de marque ». Cette lettre précise les nations ennemies qui peuvent être attaquées.

Archives nationales KEW

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Qu’est-ce qui différencie un pirate d’un corsaire ?
Gilbert Buti : Un pirate travaille pour lui-même et ne partage son butin avec personne, sauf avec son propre équipage, alors qu’un corsaire opère principalement en temps de guerre, servant les intérêts de son pays en attaquant ses ennemis, avec l’autorisation de son gouvernement. Il reçoit une « lettre de marque » ou « commission » qui définit la durée de sa mission – généralement deux à quatre mois – et les nations ennemies qu’il est autorisé à attaquer. Chaque fois qu’un corsaire capture un navire, il doit le conduire dans un port ami, où un inventaire officiel de la cargaison est dressé, les capitaines des deux navires et les membres de l’équipage témoignant des conditions de la capture. En France, ces documents sont envoyés au Conseil des Prises (tribunal maritime des prises), qui décide s’il s’agit d’une saisie légale ou illégale des biens d’un État allié ou neutre. La procédure peut prendre plusieurs semaines. Dans le cas d’une saisie légale, le navire et sa cargaison sont vendus aux enchères et le produit de la vente est réparti entre le roi, qui prend 10%, les fonds pour les veuves des marins et diverses autres allocations, et enfin l’équipage et le propriétaire du navire corsaire, qui se partagent les 80% restants. Il faut ajouter que les pirates et les corsaires ne bénéficiaient pas du même statut juridique s’ils étaient pris. Les pirates étaient généralement exécutés après un procès expéditif, tandis que les corsaires étaient considérés comme des prisonniers de guerre, qui étaient détenus et éventuellement échangés contre d’autres prisonniers de guerre.

Les pirates qui étaient pris étaient généralement exécutés, tandis que les corsaires étaient considérés comme des prisonniers de guerre et échangés.

Vous avez dit que la piraterie est aussi vieille que la navigation elle-même. Qu’en est-il des corsaires ?
G.B. : La pratique a commencé à être institutionnalisée vers le 15e siècle. Au Moyen Âge, il existait un « droit de représailles » autorisant les navires qui avaient été pillés à attaquer un navire de la même nationalité que leur assaillant. Au 16e siècle, la course au large était une pratique officiellement approuvée. Nous connaissons tous le nom de Francis Drake, un corsaire qui a contribué au règne d’Elizabeth I, reine d’Angleterre, en apportant suffisamment de richesses pour qu’elle n’ait pas à faire appel au Parlement pour lever des impôts. Elle l’a ensuite fait chevalier en remerciement de ses services. Mais le véritable âge d’or des corsaires se situe au XVIIe siècle et sous le règne de Louis XIV. Trois nations sont particulièrement actives : La France, l’Angleterre et les Provinces-Unies, ou ce qui est aujourd’hui les Pays-Bas. Pour un gouvernement national, commander des corsaires était souvent un moyen de renforcer une marine relativement faible.

Après la bataille de La Hogue en 1692, qui vit les Hollandais et les Anglais vaincre la flotte de Louis XIV, la France n’avait plus les moyens de financer des navires pour la guerre navale et s’orienta vers des raids commerciaux plus intensifs, qui offraient le double avantage d’affaiblir l’ennemi tout en apportant des revenus supplémentaires à l’État. Il y avait aussi la « mise en service conjointe » de navires corsaires, par laquelle le gouvernement louait ou prêtait ses navires militaires à un armateur privé. Un bon exemple est celui de René Duguay-Trouin, célèbre corsaire de Saint-Malo, qui a d’abord servi sur des navires marchands aménagés en corsaires, avant de devenir officier de la marine royale. Parmi les autres corsaires français connus, Jean Bart a fait de même, mais Surcouf n’a jamais voulu rejoindre la marine du roi.

Le corsaire anglais Francis Drake a aidé le règne d’Elizabeth I en fournissant directement des ressources, lui permettant de contourner le Parlement.

Le corsaire anglais Francis Drake a aidé le règne d’Elizabeth I en fournissant des ressources directement, la laissant contourner le Parlement.

Jean-Léon HUENS/NATIONAL GEOGRAPHIC CREATIVE/BRIDGEMAN IMAGES

Jean-Léon HUENS/NATIONAL GEOGRAPHIC CREATIVE/BRIDGEMAN IMAGES

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La distinction entre pirates et corsaires est-elle vraiment si nette ? Certains capitaines corsaires avaient la réputation d’être impitoyables…
P.H. : Disons que dans chaque corsaire dormait un pirate… Parfois, les corsaires  » oubliaient  » de suivre les procédures. Par exemple, sur le chemin du retour vers Saint-Malo, les corsaires français jettent l’ancre au Cap Fréhel tout proche et cachent une partie de leur cargaison capturée avant de rentrer officiellement au port. Certaines pratiques en haute mer tendent également les limites entre corsaires et pirates. Les corsaires français avaient une coutume, appelée pluntrage, selon laquelle chaque membre de l’équipage s’emparait des objets de valeur de son « alter ego » sur le navire capturé : le pilote prenait la cloche du pilote ennemi, le capitaine gardait l’argent et l’épée de l’autre capitaine, etc. Mais ce qui était au départ une habitude tolérée a souvent conduit à des excès.

Les flibustiers aident les colonies à se développer et à se défendre. Mais ils deviennent vite plus un handicap qu’un atout.

Tout se complique dans le cas des flibustiers…
P.H. : La flibuste était à l’origine définie par une zone géographique. Elle est apparue au XVIe siècle avec la colonisation espagnole de l’Amérique, et visait principalement les galions espagnols revenant du Nouveau Monde chargés d’or et d’argent, mais aussi de tabac, de canne à sucre, etc. Dans un premier temps, des flibustiers français et anglais naviguent entre l’Europe et l’Amérique pour s’emparer de ces richesses. L’établissement de colonies françaises et anglaises dans les Antilles, à partir du XVIIe siècle, a donné naissance aux célèbres « pirates des Caraïbes », des marins qui ont choisi ces îles comme base arrière. Tortuga, une île au large d’Hispaniola (aujourd’hui Haïti), était très prisée des flibustiers français, tandis que les Anglais préféraient Port Royal en Jamaïque.

Les flibustiers étaient-ils des pirates ou des corsaires ?
P.H. : Avec les flibustiers, il s’agissait de  » corsaires-pirates « . Ils étaient censés opérer comme les corsaires, mais se retrouvaient à des milliers de kilomètres du siège de l’autorité, avec des conditions de vie souvent difficiles… S’ils avaient bien des commissions des gouverneurs locaux, leurs prises étaient réparties de manière plus  » personnalisée  » qu’en Europe – les inventaires officiels exhaustifs n’existaient pas ! D’ailleurs, les flibustiers ne ramènent pas toujours leur butin à leur port d’attache… Versailles et Londres ferment les yeux car tout ce qui peut affaiblir l’Espagne, leur ennemi juré, sert leur cause. Au départ, la présence de flibustiers comme François l’Olonnais et Henry Morgan aide les colonies françaises et britanniques à se développer et à se défendre. Mais il arriva un moment où les flibustiers furent plus un handicap qu’un atout. Les autorités se rendent compte que la production de sucre et d’indigo aux Antilles a besoin de paix pour prospérer, et qu’il est plus rentable de commercer avec les Espagnols – et notamment de leur vendre des esclaves amenés d’Afrique, où l’Espagne n’est pas présente – que de saisir leurs marchandises par la force. La flibuste est proscrite, mais bien sûr, tous les raiders ne sont pas prêts à se retirer… Certains deviennent pirates et se déplacent vers d’autres régions du monde : le Pacifique et les mers du Sud, l’océan Indien ou la mer Rouge, où ils sont très actifs dans la décennie de 1715 à 1725.

La petite île de Tortuga, au large d’Haïti, est très prisée des flibustiers français qui y installent leur base arrière opérationnelle après la création de la colonie.

La petite île de Tortuga, au large d’Haïti, est très prisée des flibustiers français qui y installent leur base arrière opérationnelle après avoir mis en place la colonie.

Collection privée/Archives Charmet/BRIDGEMAN IMAGES

Collection privée/Archives. Charmet/BRIDGEMAN IMAGES

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L’embarquement sur un autre navire a toujours été une exception, car personne ne voulait endommager son navire ou perdre des hommes dans une attaque.

Les pirates et les corsaires sont associés à toute une imagerie : le cache-œil, le perroquet, et surtout les scènes d’abordage et de batailles spectaculaires et sanglantes. Cela correspond-il à la réalité ?
P.H. : Cette image a été inventée aux 18e et 19e siècles par des écrivains dont Daniel Defoe et Robert Louis Stevenson, et immortalisée par Hollywood. En réalité, l’abordage d’un autre navire a toujours été l’exception, car personne ne voulait endommager son navire ou perdre des hommes dans une attaque. Les pirates et les corsaires veillaient toujours à attaquer des navires plus lents et plus vulnérables que les leurs, et tentaient de les intimider de diverses manières : tirs de sommation ou pavillons censés inspirer la terreur. Pendant longtemps, les pirates ont arboré un drapeau rouge comme un signal signifiant :  » Rendez-vous ou nous n’aurons aucune pitié et le sang coulera.’

Certains pirates étaient présentés comme des  » Robin des Bois  » marins ou des esprits autonomes épris de liberté. C’était la base du mythe entourant Libertalia, une colonie anarchiste prétendument construite par des pirates à Madagascar. Mais les pirates et corsaires de la vie réelle étaient plutôt des chefs d’entreprise gérant leurs petites opérations du mieux qu’ils pouvaient !

Des pirates arrêtés dans le golfe d’Aden. La pauvreté pousse souvent les habitants à détourner des navires commerciaux ou des bateaux de plaisance.

Des pirates arrêtés dans le golfe d’Aden. La pauvreté pousse souvent les habitants à détourner des navires commerciaux ou des bateaux de plaisance.

US NAVY/E. L. BEAUREGARD/AFP PHOTO

US NAVY/E. L. BEAUREGARD/AFP PHOTO

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Quand les corsaires ont-ils disparu ?
G.B. : En 1856, le traité de Paris a mis fin aux raids commerciaux en mer. Il n’était plus vraiment rentable, d’autant que les anciens ennemis traditionnels avaient cessé de se combattre. Cet accord a également entraîné une spécialisation maritime, avec une séparation claire entre les flottes marchandes et militaires. Faire la guerre aux navires marchands appartient au passé. Cette période a également vu le lancement des premiers navires de guerre modernes, propulsés par des moteurs à vapeur. Il y a cependant eu quelques actes de quasi-crivaterie commis pendant la guerre de Sécession, et certains historiens trouvent des similitudes dans les attaques des sous-marins allemands contre les navires marchands alliés pendant la Première Guerre mondiale – avec une différence flagrante : les corsaires des XVIIe et XVIIIe siècles ne cherchaient pas à détruire les navires ennemis, mais simplement à les capturer.

En revanche, la piraterie n’a pas disparu des mers et des océans du monde…
G.B. : Il y a quelques années, on a assisté à une recrudescence de la piraterie le long des côtes somaliennes, où les navires passent après avoir traversé le canal de Suez, autour du golfe Persique et en Asie du Sud-Est, à l’embouchure du détroit de Malacca. Pour ces pirates, dont beaucoup sont des pêcheurs réduits à la pauvreté par la pollution de leurs zones de pêche, les cibles privilégiées sont les porte-conteneurs, les cargos et les bateaux de plaisance. Depuis deux ou trois ans, les attaques le long des côtes somaliennes, qui s’accompagnent généralement de demandes de rançon et de la saisie de matériel électronique, sont moins fréquentes grâce aux patrouilles de surveillance mises en place par les armateurs. En revanche, les actes de piraterie sont en augmentation dans le golfe de Guinée, au large de l’Afrique de l’Ouest. Comme pour la Somalie, ces crimes sont souvent le prolongement en mer des crises qui affectent les régions côtières. Dans ce cas, les cibles principales sont les plateformes pétrolières et les pétroliers. Le pétrole capturé est revendu directement par des réseaux organisés dans la région. Certaines autorités locales sont soupçonnées de collusion, voyant dans la piraterie une  » soupape de sécurité  » économique leur permettant de contrôler les populations locales souffrant d’une grande pauvreté.

Notes de bas de page

  • 1. Gilbert Buti et Philippe Hrodej (dir.),  » Histoire des pirates et corsaires, de l’Antiquité à nos jours « , (Paris : CNRS éditions, 2016). En français uniquement.

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