Notre Dame : comment la Couronne d’épines du Christs a survécu aux croisades, aux bouleversements politiques et à un incendie (mais de justesse)
Lorsque la flèche de la cathédrale Notre-Dame s’est effondrée dans un brasier ardent, lundi 15 avril, il semblait que les trésors inestimables qu’elle renfermait seraient perdus à jamais. Il s’agit de peintures sacrées, de tapisseries, de sculptures, de vitraux, ainsi que d’une précieuse collection de saintes reliques. Il a donc été merveilleux de constater, le lendemain matin, que le tissu gothique de la cathédrale, vieux de plus de 850 ans, avait tenu bon. Ses vastes voûtes sont endommagées mais intactes – témoignant de la brillante ingénierie des maçons médiévaux et de la bravoure des pompiers parisiens.
Alors que la nouvelle de la destruction se répandait, nous avons appris que le père Jean-Marc Fournier a orchestré le sauvetage de nombreuses reliques dans le trésor de la cathédrale avec l’aide des pompiers. Avec quelques minutes d’avance, ils ont formé une chaîne humaine et ont réussi à sauver certains des trésors les plus anciens et les plus saints de toute la chrétienté – y compris la relique de la Couronne d’épines.
Réservée dans un reliquaire doré et cristallin et exposée aux fidèles chaque année pour un office spécial le Vendredi saint, la relique de la couronne ressemble à une couronne composée de joncs marins fragiles mais élégamment tissés. Cette relique délicate a une histoire longue et compliquée et, au cours des huit derniers siècles, elle a été protégée par des espaces gothiques étincelants et vénérée à Paris comme un symbole tangible et physique de la royauté du Christ. Au lendemain de l’incendie de Notre-Dame et à la veille du Vendredi saint, il est important de réfléchir à la signification de cet objet sacré et à sa remarquable survie.
« Ecce homo’
La couronne d’épines est nommée dans trois des évangiles comme l’un des nombreux instruments tortueux utilisés alors que le Christ est moqué pendant son procès et son châtiment (Matthieu 27:27-30, Marc 15:16-19 et Jean 19:1-3). Dans l’évangile de Jean, le récit de la Passion se prolonge : Le Christ est amené devant le gouverneur romain de Judée, Ponce Pilate, pour affronter la foule alors qu’il porte toujours la couronne d’épines.
Ce passage constitue la base de l’image dévotionnelle populaire appelée Ecce Homo, dans laquelle le Christ est imaginé comme le Messie rejeté, flagellé et couronné d’épines. Les évangiles ne précisent pas ce qu’est devenue la Couronne après la Moquerie.
Il est intéressant de noter que le Christ ne porte pas la couronne d’épines dans les premières représentations de la Crucifixion. Le Christ est représenté mourant sur la croix sans la couronne (avec seulement une poignée d’exceptions) tout au long du premier millénaire de l’art chrétien. Et l’existence d’un culte des reliques est inconnue jusqu’au cinquième siècle. En 409 après J.-C., Saint Paulinus) a demandé aux fidèles de vénérer les reliques de la Sainte Épine dans la basilique du Mont Sion à Jérusalem, aux côtés de la colonne de la Flagellation et de la Sainte Lance. En 591 après J.-C., Grégoire de Tours offre la plus ancienne description connue de la relique de la couronne :
On dit que la Couronne d’épines apparaît comme si elle était vivante. Chaque jour, ses feuilles semblent se flétrir et chaque jour, elles redeviennent vertes grâce à un pouvoir divin.
En route
Seuls quelques récits de la relique de la couronne au mont Sion existent après le siège de Jérusalem en 636 après JC, en raison des difficultés d’accès pour les pèlerins. Un reliquaire de la Vraie Croix, connu sous le nom de Limburg Staurotheke, est notre plus ancien témoin matériel du nouvel emplacement de la relique à Constantinople. Fabriqué vers 950, son inscription indique qu’il contient des objets provenant du trésor de l’empereur byzantin, dont un fragment de la couronne d’épines. Mais on ne sait toujours pas quand ni comment la couronne est arrivée à Constantinople, où elle a été enchâssée près du palais de Bucoleon au milieu d’un merveilleux assortiment de reliques de la Passion.
Écrivant pendant un coup d’État politique en 1200, Nicolas Mesarites, le gardien du palais, fait l’éloge de la survie de la Couronne d’épines « incorruptible », qui était « fraîche, verte et non flétrie ». Après la quatrième croisade, Baldwin de Flandre devient le premier empereur latin de Constantinople et prend le contrôle des palais et de leurs trésors.
En 1228, lorsque Baldwin II monte sur le trône à l’âge de 11 ans seulement, la crise s’empare de l’empire latin. Pour se procurer de l’argent, il met en gage des reliques pour garantir la dette. Vers 1237, la relique de la couronne d’épines a été utilisée pour obtenir un prêt d’un riche marchand vénitien nommé Niccolo Quirino. Baldwin s’est aventuré en Europe pour une mission de collecte de fonds et a approché son « cousin » le roi Louis IX de France (1214-1270) pour obtenir plus d’aide et le roi français a accepté de payer la dette impériale.
Un cadeau divin
Ce faisant, Louis IX deviendra le nouveau protecteur de la relique. Pour être clair, cet échange n’était pas une vente, car cela aurait violé les règles œcuméniques. Au contraire, le transfert de la couronne de Constantinople à Paris serait encadré comme une transaction diplomatique et célébré comme un don divin.
Gauthier Cornut, un archevêque de Sens du XIIIe siècle, a rédigé un récit détaillé du transfert de la couronne à Paris dans un texte connu sous le nom d’Historia Susceptionis Coronae Spinea. Il a également orchestré un certain nombre de cérémonies pour commémorer l’arrivée de la relique. Retirant sa couronne et ne portant qu’une humble tunique (une autre relique sainte sauvée lors de l’incendie de Notre-Dame), Louis marche pieds nus en portant la relique dans Paris lors d’une procession spectaculaire le 19 août 1239.
La parade s’est terminée par un sermon à l’intérieur de la cathédrale Notre-Dame avant que la relique ne soit enfermée dans le palais royal. À peine neuf ans plus tard, le 26 avril 1248, la Sainte-Chapelle est consacrée en l’honneur de la Passion du Christ. Cet édifice gothique chatoyant à deux étages enveloppait la couronne d’épines dans un éblouissant rideau de verre et de couleurs gothiques, offrant une scène extraordinaire pour la célébration de la présence du Christ en plein cœur de Paris.
C’est ici que l’on trouve pour la première fois de nombreuses images du Christ crucifié portant la couronne d’épines, une réinvention réfléchie de l’iconographie chrétienne qui place l’objet au centre de l’histoire du salut. En 1297, 27 ans après la mort de Louis IX, il est canonisé ; la piété de Saint Louis tout au long de sa vie a été extraordinaire, mais son acquisition et sa procession de la relique ont sans doute été l’une des manifestations les plus précoces et les plus publiques de sa sainteté.
Un nouveau foyer
La Couronne d’épines est restée dans cette chapelle royale jusqu’à la Révolution française. En 1790, une partie des reliques a été livrée en toute sécurité à l’abbaye de Saint-Denis et, en 1806, l’archevêque de Paris Jean-Baptiste de Belloy a supervisé le transfert de la relique au trésor de Notre-Dame, où elle pourrait être vénérée par tous les Parisiens comme un trésor commun et civique.
Elle est restée dans la cathédrale, endurant la violence de la Commune et des deux guerres mondiales, jusqu’à ce que la calamité frappe le 15 avril. Elle sera hébergée à l’Hôtel de Ville pendant la reconstruction de Notre-Dame.
À travers les innombrables guerres, catastrophes, autres menaces des vicissitudes du temps, ce petit objet sacré – une petite grappe de branches anciennes qui signifient le salut chrétien – demeure. Aimée par des milliers de personnes, la relique de la Couronne d’épines continue de servir son objectif – inspirer l’espoir, nous rappeler que ce qui est perdu peut un jour refleurir et que les choses que nous aimons, aussi petites soient-elles, ont un grand pouvoir.